Quel collectionneur êtes-vous ? Rencontre avec Hubert Bonnet

25.09.23
Par Sibylle Grandchamp

Dans le cadre de notre série Portraits de Collections, Hubert Bonnet, fondateur de la fondation CAB à Saint-Paul-de-Vence, lève le voile sur ses choix esthétiques et sur la manière dont il a constitué sa très riche collection d'œuvres centrées sur les pièces historiques de l’art minimal et conceptuel.

Plein Sud : La première fois que je vous ai interrogé sur vos goûts, en 2022, vous me disiez que l’art minimal et conceptuel avaient la capacité de vous apaiser l’esprit. Est-ce toujours le cas ? 

Hubert Bonnet : J’apprécie tout particulièrement les dialogues que l’art minimal met en place avec l’architecture et les  possibilités qui s’offrent alors à nous de pouvoir appréhender les espaces différemment. Cela me réaligne en me rappelant que tout, dans la vie, n’est en fait qu’une question de perception. Ce qui me permet de me poser, de rêver et de relativiser.

PS : Un pied à Bruxelles, un pied à Saint-Paul-de-Vence: désormais dotée de deux antennes, la fondation CAB a étendu en quelques années son rayonnement de la Belgique à la France. À quand datez-vous le début de votre collection et quel en a été le déclencheur ? 

HB : La Fondation CAB à ouvert en 2012 à Bruxelles mais ma collection date de 1999. La première œuvre que j’ai acquise, c’était lors d’une foire, une œuvre de Yan Pei Ming chez Rodolphe Janssen. Ensuite, mon premier contact avec l’art minimal est survenu à New York lors d’une rencontre avec la famille Vedovi et avec le marchand d’art Christophe van de Weghe. J’ai acquis une petite sculpture murale de Donald Judd.

PS : Quel type de collectionneur êtes-vous ? 

HB : J’ai un côté réfléchi et structuré, mais je peux également être très spontané. Dans le sens où si j’aime le travail d’un artiste, je ne peux pas passer à côté. Néanmoins, depuis quinze ans, j’essaie de recentrer le propos de ma collection sur des pièces historiques des mouvements artistiques des années 60, 70, qui me passionnent : l’art conceptuel et minimal de Niele Toroni, Fred Sandback, Ad Reinhardt…

PS : Grâce aux résidences d’artistes et aux expositions que vous réalisez à la Fondation CAB, vous établissez des contacts privilégiés avec une jeune génération d’artistes… Votre dernier coup de foudre ?

HB : Dernièrement j’ai eu la chance de rencontrer et d’acquérir des pièces d’artistes fantastiques tels que : Morgane Tshimber, Nadia Guerroui, Bonolo Kavoula…


« L’art minimal et les dialogues qu’il met en place avec l’architecture me réaligne en me rappelant que tout, dans la vie, n’est en fait qu’une question de perception. Cela me permet de me poser, de rêver et de relativiser.
»


PS : « The purpose of art is business » disait l’artiste belge Marcel Broodthaers. Etes-vous d’accord avec cette phrase ou collectionnez-vous pour l’amour de l’art ?

HB : En ce qui me concerne, ce n’est certainement pas que du business. L’art me permet de prendre du recul, de rêver, de faire des rencontres… c’est surtout une passion !  Mes deux fondations à Bruxelles et Saint-Paul-de-Vence me prennent énormément de temps et d’énergie. Avant tout, j’aime profondément ce que je fais !

PS : Quels artistes aimez-vous le plus ? 

HB : Sol Lewitt, Agnès Martin, Frank Stella, Donald Judd, Robert Morris, Jo Baer, Anne Truitt.

PS : Après onze ans, une collection pourrait-elle prendre le chemin de l’autonomie ou bien le rapport est-il toujours forcément fusionnel avec celui qui la constitue ?

HB : Rien n’est figé et tout évolue, mais elle est intimement liée à mon parcours. D’un côté, les pièces historiques : Marthe Wéry, Takis, quelques pièces de support surface : Daniel Dezeuze, Claude Viallat... Puis les artistes émergents, en fonction des projets, des résidences et des expositions que nous avons (Andréas Johnen, Charlotte Vander Borght, Nicolas  Chardon, Paul Czerlitzki, Meryem Bayram…)

PS : À Bruxelles, vous vous êtes établi dans un ancien entrepôt de 800 m2 de style Art déco. À Saint-Paul de Vence, il s’agit d’une maison moderniste réhabilitée... Comme pour les tenants du mouvement minimal, dont le rapport de l’œuvre à l’espace est crucial. Qu’est-ce qui distingue la programmation de CAB Bruxelles de la programmation saint-pauloise ? 

HB : A Bruxelles nous organisons deux expositions par an : l’une d’un artiste historique ayant appartenu à ces mouvements artistiques et l’autre est un dialogue entre deux générations d’artistes. Ce qui nous permet d’inviter des artistes plus jeunes à faire des nouvelles créations in situ.

PS : Comment les œuvres habitent-elles le jardin à Saint-Paul-de-Vence ?

HB : Nous avons créé un jardin de sculpture comprenant des artistes qui s’inspirent des courants de l’art minimal et conceptuel avec une démarche singulière, tels que Bernar Venet ou Jonathan Monk. Plusieurs ont un lien particulier avec la Belgique. Charlotte Van den Borght et Fabrice Samyn sont Belges, Peter Downsbrough  vit en Belgique depuis vingt-cinq ans, Ricard Long, qui a exposé à la Fondation à Bruxelles en 2017.

PS : Une récente acquisition dans le jardin ?

HB : Nous avons acquis récemment une sculpture de l’artiste et designer Arik Levy (notre voisin à Saint-Paul) faite de verre et de corde, qui explore les questions d’équilibre.

« Le sens tend à se déplacer de l’objet à son environnement, et le rôle du spectateur change, passe de la contemplation à la perception active d’une œuvre qui partage son espace. Cela me fascine… »

PS : En ce moment, vous présentez à l’espace de Saint-Paul-de-Vence 864 empreintes de pinceau n°50 appliquées à intervalles réguliers de 30cm, signées de l’artiste Niele Toroni. Sauriez vous expliquer pourquoi vos choix se portent essentiellement sur des artistes à la démarche souvent très radicale ?

HB : Cette simplicité radicale est aussi un rejet de tout illusionnisme. Le sens tend à se déplacer de l’objet à son environnement, et le rôle du spectateur change, passe de la contemplation à la perception active d’une œuvre qui partage son espace. Cela me fascine, mais nous présentons également des artistes qui s’inscrivent dans le prolongement de cette démarche radicale, ou d’autres qui la questionnent.

PS : Bernard Marcadé est le commissaire de l’exposition actuelle de Niele Toroni à Saint-Paul ; comment travaillez-vous avec les curateurs ? 

HB : Nous invitons des commissaires d’expositions qui apportent à chaque fois un nouveau regard sur la collection. Joost Declercq en 2021, Gregory Lang en 2022,  Bernard Marcadé en 2023. Cette exposition a nécessité un travail de recherche précis et minutieux et célèbre l’amitié en rassemblant des prêteurs tels que Françoise et Jean-Philippe  Billarant, Jean Brolly, Marian Goodman, qui ont établi une relation de confiance avec Niele Toroni depuis de nombreuses années. Le commissaire de l’exposition, Bernard Marcadé est également un ami de longue date de l’artiste,  ils se sont rencontrés à la Villa Arson en 1987.

PS : Comment s’organise votre programme de résidences d’artiste et quels sont les prochains artistes invités à Bruxelles ou/et à Saint-Paul ?

HB : Les résidences ont lieu toutes l’année à Bruxelles, et de novembre à mars à Saint-Paul. Nous avons lancé le programme de résidence au printemps 2018 dans la continuité de la mission philanthropique de la Fondation CAB auprès des artistes émergents. Nous avons ressenti le besoin de transmettre un programme parallèle pour les futurs talents. Les artistes nationaux et internationaux sont invités à s'inscrire ou à remettre en question les traditions de l'art minimal et conceptuel. Pendant une période allant jusqu'à deux mois, ils peuvent vivre et travailler aux studios de la Fondation CAB pour produire ou réfléchir à leur pratique. Nous leur facilitons également la connexion avec la scène artistique bruxelloise et de St-Paul de Vence.

A Saint-Paul, à partir de décembre, nous aurons le plaisir d’avoir Lawrence CALVER (1992, UK), connu pour sa pratique textile à grande échelle composée d'une variété de tissus récupérés, recyclés et  historiques. 

PS : La fondation CAB est un acteur dynamique de la scène artistique bruxelloise. Comment décririez-vous cette scène actuellement par rapport à la scène française ?  

HB : Je vis en Suisse mais je suis Belge et Bruxelles est la capitale de l’Europe. La scène culturelle bruxelloise est entrée dans une sorte de renaissance créative depuis quelques années. Galeristes, créateurs, collectionneurs, designers et artistes de tous horizons investissent la capitale belge. Bruxelles est ouverte aux artistes, galeristes et collectionneurs qui apprécient l’équilibre de la ville entre chaos et calme, énergie et décontraction.  

PS : Votre appartenance au réseau Plein Sud vous a-t-elle permis de tisser des liens avec d’autres  institutions dans le Sud de la France ?  

HB : Nous sommes très fiers d’appartenir au Réseau Plein Sud et d’avoir la chance d’être associés à toutes ses institutions de qualités. En 2022 nous avons invité l’artiste Ann Veronica Janssens (n. 1956, Folkestone, Royaume Uni) pour un double projet d’exposition à la Collection Lambert (Avignon) et à la Fondation CAB (Saint-Paul-de-Vence) dont le commissariat est assuré par Stéphane Ibars (directeur artistique de la Fondation  Lambert). Le Réseau nous a également permis de tisser un lien particulier avec la Villa Noailles avec laquelle nous avons établi un partenariat de trois ans. Dans le cadre de son centenaire, nous accueillons une exposition de la programmation Hors les murs de la villa Noailles, consacrée au travail de redécouverte mené par la designer française Andrée Putman (1925 – 2013), disparue il y a dix ans. Le commissaire de cette exposition est Eléa Le Gangneux. Nous espérons qu’il y aura beaucoup d’autres collaborations dans le futur! 

PS : Si vous deviez dessiner votre collection, à quoi ressemblerait-elle ?  

HB : À un grand carré qui englobe plein de choses.  

PS : Si votre collection avait une musicalité, un rythme ? 

HB : Gymnopedie Numéro 1, pour son rythme doux et soutenu. 

PS : Cab Saint-Paul est également un lieu d’hospitalité, avec un restaurant meublé en Charlotte Perriand et une maison démontable de Jean Prouvé disponible en chambre d’hôtes… L’art et la vie  semblent faire bon ménage ? 

HB : Oui, ici l’art, le design et la vie se côtoient en harmonie. Nous avions pour objectif que les gens se sentent comme invités dans la maison d’un collectionneur. Un endroit chaleureux pour une expérience en dehors du temps.