Anna-Eva, Terry et Hans

23.07.24
Propos recueillis par Emma Pampagnin-Migayrou

À l’occasion du trentième anniversaire de la Fondation Hartung-Bergman, l’institution présente le travail de l’artiste Terry Haass dans une exposition intitulée Le partage du sensible. Visible jusqu’au 27 septembre, elle permet de découvrir une œuvre remarquable, encore méconnue, sur laquelle le directeur lève le voile.

Terry Haass, Fragments of Spitsbergen, 2007

Plein Sud : Vous êtes depuis dix ans, la tête pensante de la Fondation Hartung-Bergman. Découvrez-vous encore aujourd’hui des choses au sujet des artistes Hans Hartung et Anna-Eva Bergman ?

Thomas Schlesser : Plein de choses, oui ! À la fois dans les archives qui sont pléthoriques et qui permettent de toujours avoir de nouveaux éléments sur leur vie, leur rencontre et leurs caractères et puis dans leurs œuvres aussi puisqu’il y a un fond qui est suffisamment substantiel pour que de temps à autre on ait vraiment l'impression d'une découverte.

PS : Pourquoi avoir choisi d’exposer le travail de Terry Haass aux côtés de celui d’Anna-Eva Bergman et d’Hans Hartung pour les 30 ans de la Fondation ?

TS : Cela faisait longtemps que je voulais qu’on fasse quelque chose autour de Terry Haass et pour plein de raisons. La première, c’est que Terry Haass était la meilleure amie d'Anna-Eva Bergman et je crois sincèrement qu’elle a été très chanceuse d’avoir Terry Haass, notamment à la fin de sa vie, comme confidente, comme camarade, comme épaule parce qu’Anna-Eva n’a pas toujours eu une vie très facile. Deuxièmement, Terry était une artiste. Bien qu’extrêmement peu connue, elle était en particulier très bonne graveuse dans le registre abstrait et elle était également une excellente sculptrice. Enfin, la Fondation a eu la chance de bénéficier d’une importante donation d’œuvres de son exécuteur testamentaire.

PS : Quels étaient les liens formels, informels et artistiques que Terry Haass entretenait avec le couple Hartung-Bergman ?

TS : Quand on regarde attentivement l’œuvre de Terry Haass, c’est très étonnant parce qu’elle a vraiment une œuvre à la convergence entre ce que pouvait développer Hartung et Bergman sur le plan artistique. Réunir ces trois noms, Hartung, Bergman et Haass, offre une formidable cohérence et permet une meilleure compréhension de l’œuvre d’Hartung et de Bergman. Archéologue de formation, Terry Haass a, par ailleurs, eu une vie extrêmement romanesque et pas évidente non plus du fait de sa judéité et de son histoire familiale.

PS : Vous inspirent-ils quotidiennement ?

TS : Oui, et je crois que Terry Haass tout comme Hartung et Bergmann, quand on prend le temps de les regarder et d’écouter ce qu'ils ont à nous dire, nous parlent de choses qui vont bien au-delà de l’art. De liberté, de courage et de ténacité. Mon ambition, c’est véritablement de montrer qu’Hartung, Bergman et Haass sont stimulants et exemplaires.

PS : Sont-ils connus des populations qui habitent la région ?

TS : C’est une grande frustration, mais très peu… L’une des ambitions essentielles de l'ouverture au public de la Fondation en 2022 était de s'inscrire dans un territoire, et d’abord à une échelle locale avec la ville d’Antibes. Malheureusement ce que l'on constate, c'est que, malgré l’intérêt d'échelle nationale ou internationale, il faut encore travailler l’image et la notoriété d’Hartung et de Bergman auprès du public local, et d’autant plus pour Haass qui est une découverte totale aux yeux de l’histoire de l’art.

P.S. : Justement, quels sont les dispositifs que vous avez par exemple pu mettre en place pour attirer ces publics ?

TS : Plutôt la désacralisation du marché de l’art. Le public a réagi de façon extraordinaire et a beaucoup apprécié la générosité du projet. La liste des artistes est impressionnante et très hétéroclite.

Terry Haass, Vision intérieure, 1960 / Terry Haass, Variations, 1970

PS : Comment vit la fondation au fil des saisons, en dehors de la saison estivale qui amène forcément plus de publics ?

TS : La Fondation est à la fois un espace patrimonial qui accueille des visiteurs et également un centre de recherche qui reçoit des historiens de l’art, des commissaires d’exposition, des conservateurs… Au fil de l’année, il y a donc bien évidemment l’accueil de différents publics mais aussi le rayonnement de l'œuvre d’Hartung et de Bergman au-delà des murs de la Fondation avec par exemple l'exposition actuelle à l’Espace d’Art Moderne et Contemporaine de Brioude, Le Doyenné, ou bien la rétrospective d’Anna-Eva Bergman au musée national d'Oslo, et enfin la participation à la vie universitaire et académique à travers des séminaires, des colloques, des rencontres en dehors des moments où la Fondation est ouverte au public.

PS : À quel(s) résultat(s) l’actuel programme « Paysage et abstraction » du centre de recherche de la Fondation Hartung-Bergman peut-il aboutir ?

TS : Chaque programme s’étend sur deux années. À la suite d’une première année exploratoire et prospective qui consiste en une succession de séminaires de chercheurs, il y aura une deuxième année plus concrète. Ces années 2024-2025, le programme intitulé « Paysage et abstraction » déploie cinq séminaires qui permettent d’accueillir entre six et sept chercheurs sur une année. Tous les échanges donneront lieu à un colloque et une exposition dans les murs intitulée « Paysages intérieurs ». Il y aura certainement des ouvrages et pourquoi pas un podcast issu de ces réflexions…