Plein Sud : Quelle est la genèse de cette monographie foisonnante ?
George Condo : Mes échanges de longue date avec George Condo m’ont conduit à imaginer avec lui une exposition qui permettrait de rendre compte de la richesse et de la complexité de son œuvre, et capable d’en donner une image différente de celle — associée à sa présence sur les stands des foires internationales — liée au succès commercial de ses tableaux.
PS : Il s’agit d’une lecture à la fois subjective et néanmoins aussi complète que possible de l’œuvre de Condo… Pourquoi ce parti pris ?
GC : Lorsque l’invitation de la Villa Paloma est survenue, c’est en effet cette idée qui nous a semblée la plus judicieuse. Pour ce qui est du parti pris interprétatif, c’est la notion d’Humanoïdes qui s’est imposée. Restait à rendre compte de l’œuvre de Condo dans son foisonnement, son développement historique, ceci dans un espace restreint….
PS : Que sont donc ces « Humanoïdes » que le public va retrouver dans l’exposition ?
GC : La notion d’humanoïdes est associée à l’univers de la science-fiction. Elle évoque les « cyborgs », les « répliquant », des créatures composites, entre humain et machines. L’humanoïde rend assez justement compte du projet de Condo qui vise à donner forme à des créatures hybrides, entre références historiques puisées dans les musées et personnages réels, agrégats d’humeurs contradictoires, de temporalités différentes. L’« Humanoïde », comme puzzle d’espace et de temps…..
PS : Peut-on parler de portraits au sujet de ces représentations ?
GC : A en croire Condo lui-même, il serait plus juste de parler d’autoportraits. Autoportraits d’une espèce nouvelle, puisque possiblement inspirés par des personnes diverses, chacun doté d’une psychologie singulière. Autoportraits donc, mais de nature psychologique plus que de nature mimétique. L’exposition nous révèle un artiste doté d’une vie intérieure aussi riche que complexe : une forme contemporaine de romantisme, un romantisme à l’âge de l’intelligence artificielle…
PS : Les œuvres exposées couvrent-elles une période particulière dans la carrière de l’artiste ?
GC : En dépit de son échelle réduite, l’exposition de la Villa Paloma affiche une ambition rétrospective, présentant des œuvres datées des années 80 jusqu’à la date de l’exposition, Condo ayant réalisé plusieurs tableaux spécifiquement pour l’exposition monégasque.
PS : L’exposition compte 6 chapitres, comment avez-vous organisé ce découpage ?
GC : L’exposition devait non seulement présenter un caractère rétrospectif, mais encore être capable de cartographier le vaste imaginaire de l’artiste. Les six chapitres retenus rendent compte des différentes approches poétiques de l’art de Condo. Le fait que certains tableaux nous soit apparus comme pouvant aisément être transférés d’un chapitre à un autre démontre que c’est possiblement la somme de ces chapitres, leur interaction, leur contigüité, qui structure l’imaginaire de Condo.
« Le grand défi qu’avait à relever Condo était celui de l’invention d’une figuration qui ne soit pas nourrie de nostalgie, qui ne renvoie pas à l’art figuratif prémoderne. »
PS : Vous dîtes que l’artiste a relevé un défi en tirant la peinture moderne vers le « presque humain ». Quel a été son cheminement et quels artistes ou mouvements l’ont inspirés ?
GC : Le grand défi qu’avait à relever Condo était celui de l’invention d’une figuration qui ne soit pas nourrie de nostalgie, qui ne renvoie pas à l’art figuratif prémoderne. S’attacher à figurer est déjà en soi une gageure si l’on accepte l’idée que l’ensemble de l’art moderne, quel qu’en soit ses formes, se place sous le signe de l’abstraction. Être figuratif et abstrait suppose de réinventer la figuration comme l’a fait Condo. La réinventer en la soustrayant à la représentation directe, à une figuration du « déjà-là ». Dans ce défi réside tout ou presque de l’art de Condo : un art figuratif qui réinvente la figure à coup de compactage de l’histoire de l’art et de l’infini variété de l’univers psychologique.
PS : Comment situer Condo par rapport à ses contemporains ?
GC : Ses véritables contemporains sont les artistes qui comme lui sont apparus sur la scène artistique au début des années 80, en un moment où la création se libérait des modèles d’un art contemporain devenu radicalement abstrait et puissamment autocritique. Pour ce qui est de ses contemporains « actuels », son art se distingue assez radicalement de celui des peintres qui aujourd’hui s’adonnent à une peinture figurative sans avoir à prendre position contre un interdit, dans un contexte critique, institutionnel et marchand qui accueil leur production sans réserve. À la différence de la vague contemporaine de peinture, l’art de Condo reste marqué par une adversité critique qui lui imposait de produire une figuration plus réflexive.
PS : L’artiste a un lien avec la principauté, ayant par le passé collaboré à une scénographie pour les Ballets de Monaco. Pouvez-vous nous rappeler le contexte et l’implication de l’artiste dans cette collaboration ?
GC : En l’an 2000, Condo a été invité à produire décors et ballets pour une spectacle chorégraphique conçu par les Ballets de Monaco (Opus 40), ce qui l’a amené à séjourner plusieurs semaines à Monaco. Il a mis ses pas dans ceux de Francis Bacon, trouvant, après l’artiste anglais, le chemin du Casino…
PS : Le parcours réserve-t’il des surprises ?
GC : Je tendrais à dire que le parcours n’est que surprises, l’une après l’autre. Surprise de découvrir une œuvre aussi protéiforme – comme si l’exposition rassemblait les œuvres non d’un, mais de 40 artistes différents, surprise de découvrir que Condo est aussi un sculpteur, surprise de constater comment l’énergie des toiles de Condo réinvente, dilate, ébranle les espaces feutrés et intimiste de la Villa Paloma…
Humanoïdes, George Condo. Nouveau Musée National de Monaco → 01.10.23