Plein Sud : Ton exposition sur le stand de HATCH durant la foire ART-O-RAMA s'intitulait Mas/seille : the limits of the Earth, at the end of Paradise. La fin du paradis, d'accord, mais pourquoi Marseille? Faut il comprendre que cette ville incarne selon toi les limites, la décadence qui va nous mener à la fin des temps ?
Léo Fourdrinier : Les œuvres de l’exposition ont été spécialement conçues pour la foire ART-O-RAMA. J’ai puisé dans les origines multiculturelles de la ville de Marseille pour construire ma narration, en m’inspirant de l’Histoire et de la mythologie. C’est un hommage bienveillant à Marseille et à ses mythes fondateurs, issus des civilisations antiques du bassin méditerranéen. Le titre est une contraction du nom antique de la ville « Massalia » et de « Marseille ». Cette double temporalité est symbolisée par le dieu romain « Janus » aux deux visages, tournés vers le passé et le futur. Ce dieu, symbole historique de la ville, trouverait — d’après les Romains de l’antiquité — sa place aux « limites de la Terre et du Paradis ». Le titre de l’exposition illustre cette appartenance au monde des mortels et du divin. C’est une réconciliation pleine d’espérance.
PS : Tu y déploies un scénario d'objets qui emprunte autant aux mythes anciens qu'à des références futuristes. Pourquoi avoir voulu conjuguer ces deux extrêmes ?
LF : Les mythes anciens se déploient dans l’Histoire comme des archétypes, et nous content les récits de l’Humanité. Mes œuvres sont l’assemblage d’un héritage et d’un regard sur les éléments du quotidien contemporain, comme Marseille qui est à la croisée du passé romain avec ses mythes et ses croyances, sa géologie calcaire et les bruits motorisés de son présent industriel. Conjuguer ces temporalités c’est prendre conscience des liens multiples qui nous connectent et nous rassemblent.
PS : Quel est ton rapport à Marseille? Y vis tu, y travailles tu ?
LF : Non, je suis originaire de Nîmes et j’ai implanté mon atelier au Port Des Créateurs, un tiers-lieu culturel à Toulon, depuis trois ans. Julien Carbone et son équipe m’y accompagnent dans ma compréhension du territoire, et dans mes échanges avec les différents acteurs culturels. L’écosystème créé par ce lieu, et par d’autres en France, est essentiel pour l’accompagnement des jeunes créateurs, et pour le rayonnement culturel et collectif des territoires. J’ai développé par conséquent un profond intérêt pour les dynamiques de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
PS : Depuis combien de temps travailles-tu avec HATCH ? Ou est basée cette galerie ?
LF : J’ai rencontré Margot De Rochebouët et Giovanna Traversa, cofondratrices de la galerie parisienne HATCH, il y a plus d’un an lorsqu’elles m’ont invité dans leur exposition collective « Garage Band », un show vivant et atypique dans une friche industrielle du 18e arrondissement à Paris. Leur programmation sans frontière et minutieuse coïncidait avec les inspirations multiples de mon travail, et nous avons choisi de collaborer ensemble pour ma première présentation à ART-O-RAMA, qui nous apparaissait alignée avec mon développement artistique. Ce projet collectif a été accompagné par la commissaire d’exposition Joséphine Dupuy Chavanat, que j’ai rencontré lors de la dernière Bourse Révélations Émerige, qui a réalisé un travail d’investigation archéologique et critique formidable.
PS : Ton travail porte sur l'assemblage et le télescopage des époques et des matières. Que cherches-tu en jouant avec les lois de la physique et avec l'équilibre des choses ?
LF : Mes sources d’inspirations sont multiples à m’amènent à collaborer avec des scientifiques comme mon ami astrophysicien Arthur le Saux avec qui j’échange régulièrement à propos de ses recherches sur le fonctionnement des étoiles. La compréhension des éléments qui composent notre monde et l’univers, au-delà d’une dimension poétique forte, est une dynamique universelle qui rallie justement les connaissances et les temporalités.
PS : Comment décrirais-tu la temporalité dans laquelle nous conduit ton univers ?
LF : Plutôt qu’une temporalité, ce serait un mouvement: l’union de l’héritage et du fantasme de l’avenir.
PS : Tu nous transportes dans un imaginaire où les objets semblent avoir trouvé une sorte d’éternité. Le réel conduit-il forcément à la chute?
LF : Ce désir d’éternité est énoncé à merveille par l’écrivain et poète Roger Caillois (1913-1978), grand collectionneur de pierres, qui est pour moi une référence fondamentale: « l’homme leur envie [aux pierres] la durée, la dureté, l’intransigeance et l’éclat, d’être lisses et impénétrables, et entières même brisées.» La fascination qu’exercent les pierres sur l’Homme le renvoie à son impermanence. Le réel n’a pas de chute mais est un continuum, un cycle qui connecte les êtres et les choses.
PS : Tes pièces semblent parfois empreintes d'une sorte de nostalgie. Faut-il faire appel au passé pour accroître notre conscience du monde et construire un meilleur futur?
LF : L’impression de nostalgie doit sûrement provenir de l’imagerie antique que je convoque, à laquelle nous associons la notion de ruine ou de civilisation éteinte. Mais il n’en est rien: comme le souligne Joséphine Dupuy Chavanat dans son texte d’exposition, mon travail est « à lire comme une pensée désireuse d’un futur à ériger collectivement. Un futur qu’il sera nécessaire d’envisager en synergie avec la nature, mais aussi avec l’industriel, le digital et le minéral. ». Le passé et l’Histoire ont un rôle primordial pour notre compréhension du présent et pour nos actes futurs.
PS : Tu étais présent à Châteauvert cet été, peux tu nous parler de ton intervention ?
LF : Lydie Marchi et son équipe m’ont invité dans dans le cadre de « l’Eté Culturel - Rouvrir le monde » mis en place avec le Ministère de la culture et la DRAC Paca. La résidence comprenait un atelier de création sculpturale avec les adolescents de l’hôpital de jour le Phoenix à Brignoles, et un temps de recherche et de création pour développer ma pratique au Centre d’Art Contemporain de Châteauvert. Mon intervention auprès des adolescents a été une expérience de partage et de transmission unique: accompagné par les soignants, nous avons réalisé avec les adolescents une sculpture collective installée dans l’enceinte de l’hôpital. La sensibilisation et l’accompagnement des publics est un enjeux primordial pour le secteur culturel, et le centre d’art, qui est justement implanté en milieu rural, relève ce défi avec brio.
PS : Quels sont tes prochains projets ?
J’ai le plaisir de justement vous convier à ma prochaine exposition personnelle « Is this love? Is this love? Is this love? Is this love that I'm feeling? » au Port des Créateurs à Toulon qui ouvrira en décembre 2023. On y parlera d’amours bien sûr, mais aussi de ce qui nous construit et déconstruit dans la définition de nos identités.