"Ich glaube an Nächte" [Je crois aux nuits]

23.08.22
By Sibylle Grandchamp

Avec le Prix Région Sud, Art-O-Rama offre chaque année une visibilité à la jeune création issue des Écoles d’Art de la Région Sud, Provence-Alpes-Côte d’Azur. En attendant de connaître celle ou celui qui remportera le Prix cette année (annonce le 25 août à 18h), nous avons rencontré l’artiste invitée du salon marseillais, Flore Saunois, lauréate du Prix en 2021. Née à Pertuis en 1987 et issue des Beaux Arts de Marseille, Flore a obtenu une bourse de production de 2000 €, une résidence à la Fondation Albert Gleize – Moly Sabata, et un soutien pour la publication d’un catalogue *. Dans ce cours entretien où il est question de lumière, d’apparition et de perception, l’artiste lève le voile sur la poésie subtile de sa pratique.

Flore Saunois © Claudia Goletto


Flore Saunois, quelle langue parlez-vous ?

Un langage plastique, tantôt matériel tantôt immatériel, au sein duquel les mots – le langage écrit – peuvent apparaître comme un matériau à part entière.

Vous avez été récompensée du Prix Région en 2021, avec une installation au nom très « Bob Wilsonnien » (What is on the other side of gold is the same as what is on this side). Que pouvait-on voir ou ne pas voir dans ce décor représentant un rideau, des gants et un porte-serviette ?

Il est en effet question de perception dans cette installation. Le coin soulevé de ce grand rideau ne révèle rien d’autre derrière que la présence d’un mur. La paire de gants suspendue est faite dans le même tissu que celui du rideau. L’un est cousu avec l’endroit du tissu, l’autre avec l’envers, comme à imaginer un retournement à l’infini, sans que jamais la paire ne vienne à coïncider. Placés là, les gants suggèrent le mouvement de soulèvement du rideau esquissé, le geste d’aller voir ce qu’il y a de l’autre côté. Mais derrière, il n’y a rien.

Ce qui nous était donné à voir n’était en réalité que le rideau lui-même...

Exactement. Pointant peut-être la focale non sur ce qui pourrait être, mais sur ce qui est...

Tout en étant souvent très minimales, vos œuvres ont toujours quelque chose de théâtral.

La théâtralité est présente dans l'attention que je prête aux conditions d'apparition des formes et des œuvres, et à la manière dont elles dialoguent entre elles et avec l'espace ou le lieu qui les accueille.

Grâce à ce Prix vous avez pu bénéficier de la publication d’un catalogue, qui sera dévoilé à Art-O-rama cette semaine. Parlez-nous de ce projet et des rencontres qu’il a suscité…

C'est un projet très enthousiasmant. Avec les graphistes, Huz&Bosshard, nous avons travaillé à un ouvrage qui puisse rendre compte, dans sa forme, des enjeux qui se déploient dans mon travail. Cela a aussi été l'occasion pour moi d'échanger assez amplement avec Sophie Kaplan, qui signe une très belle contribution, et d'entamer un échange passionnant avec l'artiste Marcelline Delbecq, dont l'entretien vient en ouverture du catalogue.

La lumière et le mouvement prennent une place essentielle dans votre travail. Vous avez même intitulé l’une de vos installations Jours, dans laquelle les panneaux, servant normalement à obstruer les fenêtres, n'ont plus cette fonction.

Il s’agissait d’une installation in situ présentée à La BF15 à la suite d’une résidence durant laquelle j’avais habité (littéralement) le lieu d’exposition. J’avais trouvé dans les réserves des panneaux destinés normalement à obstruer les fenêtres pour "faire le noir". Mais plutôt que de les poser devant les fenêtres, je les ai simplement appuyés contre les murs de la salle d'exposition après en avoir marouflé un côté avec du papier orange. On aurait dit qu'une lumière orangée se dégageait des interstices, mais en réalité, le papier ne faisait que réfléchir la lumière naturelle qui s’y engouffrait tout au long de la journée. Après avoir retenu la lumière, les panneaux la restituaient.

De quelle manière l’atmosphère du lieu où vous créez influence-t-elle votre travail ? 

J'aime penser des projets en dialogue avec un lieu ou un espace donné. Cela me permet, en me basant sur un travail minutieux d'observation, d'en révéler certaines particularités, donner à voir des phénomènes discrets.

Vos jours sont-ils plus révélateurs que vos nuits ?

Le jour est la partie visible des choses, la partie perceptible. Qui permet peut-être donc de faire apparaître ce qu'il y a autour, le mystère, plus large et insondable que contient la nuit. Roberto Juarroz, dans un poème, dit que "Le visible est un ornement de l'invisible". Cela me fait aussi penser au très beau poème de Rilke sur la nuit, qu'il conclue par "Ich glaube an Nächte" [Je crois aux nuits].

*Rendez-vous le 26 août, de 18h30 à 19h30  pour la présentation et la signature du catalogue de Flore Saunois, artiste invitée et Prix Région Sud 2021, au 3e étage de la Tour Jobin, La Friche Belle de Mai, Marseille.