Au bout du fil

25.08.22
Par Sibylle Granchamp

Ses voisins, ses amis, ses amis d’amis, lui déposent à l’atelier des cartons de vieux linges de maison passés de mode, textiles du quotidien le plus trivial, souvent usés, qu’elle découpe en bandelettes et qu’elle tisse ensuite sur toutes sortes de supports. La façon qu’a Delphine Dénéréaz de remettre au goût contemporain le tapis de lirette nous avait tout simplement bluffé lors d’une exposition en duo avec le photographe Robin Plus, produite par Marsatac et commissionnée par Anna Labouze et Keimis Henni (Artagon Marseille), en 2021. On l’a retrouvée en artiste résidente à la Villa Noailles en 2022, où elle a conçu des pièces pour différents événements du centre d’art toute l’année.

Delphine Dénéréaz © Robin +

Plein Sud : Vous êtes l’artiste invitée de l’année 2022 au centre d’art Villa Noailles, que vous a inspiré ce lieu ?

Delphine Dénéréaz : Son architecture, ses couleurs et sa nature environnante ont nourri tout au long de l’année mon inspiration pour cette collaboration. J’y ai passé du temps ponctuellement tout au long de l’année, des séjours de 2 à 10 jours depuis décembre, et à chaque venue, c’est un nouveau détail qui a attiré mon attention.   

PS : Quel a été votre process de création pour ces œuvres que l’on a vues exposées dans les jardins de la villa, à la Design parade, ou encore imprimées sur des foulards ? 

DD : Je travaille toujours de la même façon, j’observe, j’écoute, j’emmagasine des souvenirs, des images. Une idée née, que je couche sur papier, le croquis étant une étape indispensable dans mon travail, enfin je sélectionne les matériaux que je vais tisser puis je passe à la réalisation sur métier à tisser.

PS : Vous créez vos œuvres avec des fils, même si ensuite elles peuvent être photographiées ou reproduites sur divers supports. Comment en êtes vous arrivé à l’usage de ce médium ?

DD : J’ai fait un master en design textile à la Cambre Bruxelles. Outre l’histoire des textiles, j’ai appris durant cinq ans à tisser, tricoter, créer de la surface souple, teindre, sérigraphier. Quand je suis revenue dans le sud de la France, chez mes parents, j’ai récupéré un grand métier à tisser et j’ai commencé à vider les placards de la maison où étaient nichés des textiles domestiques usés par le temps. C’est une pratique découverte lors de mes études. Depuis cinq ans, ma pratique artistique est exclusivement le tissage de lirette.

PS : Quels gestes implique t-il ?

DD : La récupération de textiles, le montage du métier, la préparation des matériaux, et enfin le tissage. En ce moment je m’oriente de plus en plus dans des constructions à partir de tissage : passer du plan au volume, du rigide au souple, m’intéresse énormément. La répétition des gestes appartient à tous les corps de métier, ça me plait d’essayer de les faire se rencontrer.

PS : Vous baladez-vous toujours dans vos résidences avec une machine à tisser ?

DD : Non, justement, lors de mes résidences, j’ai développé une manière de tisser différente sur des surfaces qui me permettent de réaliser des pièces plus grandes et plus libre dans le dessin. Il m’arrive cependant aussi d’amener avec un petit métier à tisser, qui se loge parfaitement dans ma voiture.

PS : D’où proviennent les tissus ou les fils utilisés dans vos œuvres ?

DD : De particuliers, qui me déposent à l’atelier des cartons de vieux linges de maison passés de mode et d’usage car troués ou tachés...

PS : Vos prochains projets ?

DD : Je pars la semaine prochaine en résidence à la galerie Slika à Lyon, mon exposition personnelle ouvrira le 14 septembre à l’occasion du off de la Biennale de Lyon.

En parallèle, j’ai un petit solo show dans une galerie logée dans le stade de Tottenham à Londres, puis je participe à une superbe exposition collective curatée par Marion Zilio à l’ancienne manufacture Cartier-Bresson à Pantin. Enfin, après l’exposition Monstera avec mon collectif du mémé nom à La Vallée Bruxelles, je pars un mois en novembre en résidence à Lagos avec Versant Sud.