« Je dessine, je conçois et je construis »

12.07.25
Propos recueillis par Emma Pampagnin-Migayrou et Sibylle Grandchamp

Entre poésie, mémoire et géopolitique, l’artiste Feda Wardak retrace le passé hydraulique de l’Afghanistan à travers des œuvres sensibles mêlant archives, sculptures et installations. Récemment exposé au Cairn à Digne-les-Bains, l’artiste nous ouvre les portes de sa pensée.

Portrait Feda Wardak, 2022 © Photo : Maï

Plein Sud : Architecte, constructeur et artiste sont les mots qui vous qualifient. Que disent-ils de votre pratique ?

Feda Wardak : Ce sont des terminologies que j’ai posées il y a longtemps et auxquelles je reste fidèle. Je dessine, je conçois et je construis. Or, les architectes, en général, dessinent, mais ne construisent pas. Moi, j’ai appris à construire, et ça me permet de dessiner différemment car je sais comment la matière tient, je comprends ses faiblesses et ses résistances. Je me présente aussi comme artiste plasticien, car les plasticiens, eux aussi, construisent leurs œuvres eux-mêmes. Ce glissement est d’abord venu par l’écriture et l’édition. À la fin de mes études d’architecture, j’ai monté avec un groupe d’amis une microstructure d’édition (Aman Iwan, ndlr) à la croisée des sciences politiques, des sciences sociales et de la géographie critique. Nous avons publié deux revues importantes, qui traitaient de l’architecture avec une approche politique, ancrée dans nos territoires d’origine.

P.S. : Pour vous, c’était donc l’Afghanistan…

F.W. : Oui, je travaille sur cette zone géographique depuis presque quinze ans maintenant et plus particulièrement sur la question de l’eau. Je viens d’un territoire rural des montagnes afghanes qui dépend de l’eau pour vivre. J’ai cherché à comprendre comment l’agriculture a pu se développer sur un territoire aussi aride. J’ai découvert un système hydraulique hérité de l’empire perse, le karez. Ces galeries d’adduction souterraines permettent d’acheminer l’eau de nappes phréatiques éloignées grâce à des tunnels qui font parfois jusqu’à 30 ou 40 kilomètres de long.

« Au Cairn, pour la toute première fois, j’ai décidé de raconter l’eau par son absence et de rendre hommage aux artisans qui entretiennent encore ces galeries souterraines. »

P.S. : Ce sujet vous a fasciné jusqu’à le présenter dans des centres d’art, notamment au Cairn récemment, sous la forme d’une exposition répondant au nom de Chercheurs d’eau

F.W. : Je trouve incroyable que ceux qui commençaient à creuser savaient qu’ils ne verraient jamais l’eau de leur vivant. C’était un travail sur plusieurs générations. C’est pour moi une forme de pensée radicalement anticapitaliste : on agit non pas pour soi, mais pour une communauté, dans une vision du bien commun. Au Cairn, pour la toute première fois, j’ai décidé de raconter l’eau par son absence et de rendre hommage aux artisans qui entretiennent encore ces galeries souterraines. J’ai donc réalisé des moulages de corps, que j’ai ensuite reproduits en plâtre. Je les ai agrafés à certains endroits, consolidés avec des échafaudages, des appuis. J’ai ensuite mis ces corps en dialogue avec de gros tuyaux d’eau industriels, comme pour souligner une autre forme de force. Je ne voulais pas recréer un décor de galerie souterraine, mais plutôt évoquer un autre type de force. Il y a donc un lien entre la terre, ces tuyaux, et ces corps transformés par la tâche.

P.S : Quels sont vos prochains projets ?

F.W. : Je retourne bientôt en Afghanistan pour commencer à construire un centre d’archives qui servira à conserver les entretiens réalisés avec les artisans, les gestes, les outils et les savoir-faire. Je compte également tourner un documentaire à ce sujet. Autrement, je travaille depuis trois ans avec le théâtre de l’Avant-Scène à Cognac sur la construction d’une place publique habitable sur un fleuve, conçue pour durer dix ans. Sa mise à l’eau est prévue pour cet automne, ou le printemps prochain. J’ai aussi un projet intitulé Ce que le ciel ne sait pas sur les attaques de drones en Afghanistan, prévu en 2026 avec la Fondation Cartier.

Suivez les projets de Feda Wardak sur son compte Instagram.

Découvrez la nouvelle exposition du Cairn, foyer d'art contemporain à Digne-les-Bains.