Passe-Muraille, la collection Lambert hors-les-murs

17.09.24
Propos recueillis par Emma Pampagnin-Migayrou

Tout l’été et jusqu’au 6 octobre, la Collection Yvon Lambert pose ses bagages à Aix-en-Provence dans le centre d’art Gallifet. Sous le nom de « Passe-Muraille », l’exposition dévoile un voyage à priori chronologique permettant en réalité d’effectuer de nombreux allers-retours et dialogues entre artistes et mouvements d’histoires de l’art. Son commissaire, Stéphane Ibars, nous éclaire.

Vue de l'exposition Passe-muraille, de Nan Goldin à Sol LeWitt, œuvres choisies dans la Collection d’Yvon Lambert. © Best Archi Design
Vue de l'exposition Passe-muraille, de Nan Goldin à Sol LeWitt, œuvres choisies dans la Collection d’Yvon Lambert. © Best Archi Design

Plein Sud : Le titre de l’exposition « Passe-Muraille » fait référence à l’ouvrage éponyme de Marcel Aymé, comment l’exposition fait-elle écho à ce récit, à ce titre ?

Stéphane Ibars : Ce titre est venu au fil des mes conversations avec Nicolas Mazet (propriétaire de Gallifet, ndlr) et Kate Davis (directrice de Gallifet, ndlr) avec qui j’ai travaillé en collaboration. Le lieu de l’exposition, une ancienne bâtisse domestique, me rappelait d’une part le lieu qui abrite la collection Lambert à Avignon et d’autre part la maison où vit parfois Yvon Lambert dans le Sud de la France. L’histoire de la collection elle-même révèle l’intérêt d’Yvon Lambert pour des artistes qui ont tous voulu, à un moment de leur vie et de leur carrière, bouleverser les formes artistiques et franchir les frontières. Le livre « Passe-Muraille » de Marcel Aymé raconte l’histoire d’une personne ayant le pouvoir de passer à travers les murs, et c’est finalement ce qui est symboliquement attribué aux artistes de cette collection. Le fait d’évoquer un ouvrage grand public, et dont beaucoup connaissent le récit, permet aussi de proposer aux gens de faire l'expérience de l'art avec des clés qu'ils ont déjà en eux.

PS : Comment les différents espaces de l’hôtel particulier Gallifet ont-ils été abordé pour le montage de l’exposition ?

S.I. : À la différence des white cubes (espace d’exposition neutre aux murs blancs, ndlr), ce genre d’espaces ont la capacité d’embarquer les visiteurs dans des histoires, des émotions et des présences. Je considère que grâce à ces lieux, la moitié du travail de l’exposition est déjà faite. Les visiteurs peuvent plus rapidement se projeter dans des lieux chargés d’histoire et que les œuvres d’art viennent réveiller. C’était donc pour moi assez simple d’imaginer quelque chose dans ces lieux car réfléchir aux esprits et aux corps qui vont traverser les espaces, c’est quelque chose que j’aime beaucoup faire.

PS : Est-ce la première fois que vous exposez une sélection d’œuvres de la collection dans la ville d’Aix-en-Provence ?

S.I. : La collection Lambert a souvent travaillé par le passé avec cette ville, notamment à la galerie du Conseil Général où plusieurs expositions organisées par Eric Mézil (ancien directeur de la collection Lambert, ndlr) ont eu lieu, et occasionnaient ensuite une grande exposition à Avignon.

PS : Comment la sélection d’œuvres a-t-elle été pensée ? Qu’est-ce qui, dans le courant des années 1960 et des avant-gardes américaines et européennes, se retrouve dans des œuvres plus récentes également présentées dans l’exposition ?

S.I. : Comme beaucoup d’œuvres de la collection sont montrées en ce moment dans plusieurs endroits (à la collection Yvon Lambert à Avignon et au Mucem à Marseille), il fallait ici composer pour parvenir à proposer un parcours qui soit comme un voyage initiatique, à la manière de celui du personnage dans le livre de Marcel Aymé. Chaque salle se traverse et raconte une manière d’envisager l’art. L’idée était aussi de brosser tous les aspects de la collection, c’est-à-dire commencer par l’art minimal et conceptuel puis d’aller vers des artistes qui s’en sont revendiqués mais qui ont travaillé différemment comme Douglas Gordon. Cela m’intéressait de parcourir différentes décennies, notamment avec Miquel Barceló dans les années 1980, mais aussi avec des œuvres plus récentes comme celles de Slater Bradley, Elina Brotherus ou Salla Tykkä, pour illustrer comment Yvon Lambert s’est épris d’artistes différents et a accompagné les ruptures artistiques opérées par ces derniers.

PS : Plus que chronologique, le parcours est donc pensé par décennies et pratiques qui se répondent…

S.I. : Tout à fait. On pourrait prendre l’exemple de Sol LeWitt dont le travail a beaucoup été influencé par des artistes la Renaissance italienne comme Fra Angelico ou Piero della Francesca ou bien Christian Boltanki qui est un véritable passeur entre l’art minimal et conceptuel. Des artistes comme ceux-ci bouleversent l’art en trouvant leur place dans une histoire de l’art beaucoup plus large que celle de leur génération. J’espère qu’on ressent ces choses-là dans l’exposition…

PS : Quelle place occupe la photographie dans l’exposition et dans l’ensemble de la Collection Lambert ?

S.I. : Il y a un nombre de photographies importants dans cette exposition, notamment celles de Douglas Gordon et de Nan Goldin mais ce n’est pas le medium le plus représenté. Yvon Lambert a un rapport très singulier avec la photographie. Ce qui l’intéresse avant tout, ce sont des artistes dits « plasticiens », c’est-à-dire des artistes qui utilisent la photographie comme un outil de travail, et qui ont par ailleurs fait rentrer la photographie dans le champ de l’art. Je pense à Nan Goldin ou Andres Serrano, des gens qui étaient/sont artistes et qui se sont dit que le medium qu’ils voulaient utiliser c’était la photographie, comme cela aurait pu être la peinture ou la sculpture. Andres Serrano se considère comme un peintre qui fait de la photographie parce que c'est le medium qui, selon lui, parle à son temps. De la même manière, Nan Godin est véritablement une pionnière de la photographie plasticienne avec ces photographies prises à la volée, ces « snap shots » qui capturent un instant et des gens qui disparaissent…

Passe-muraille, de Nan Goldin à Sol LeWitt, œuvres choisies dans la Collection d’Yvon Lambert.

À voir jusqu’au 6 octobre 2024, à Gallifet, Aix-en-Provence