En attendant l’inauguration de la première exposition temporaire de son musée FAMM, le 18 octobre 2025, sous le commissariat de Simon de Pury, le collectionneur, philanthrope et ancien gestionnaire de fonds d’investissement, Christian Levett — fondateur du FAMM, annonce le lancement d’une nouvelle plateforme éducative : The Levett Letter & Levett Lounge, où se croisent données factuelles, expertise et regard de collectionneur au service d’une communauté de collectionneurs et de leaders culturels.
Plein Sud : Quel type de collectionneur êtes-vous ?
Christian Levett : Je me décrirais comme un passionné, voire un maniaque de la collection. C'est quelque chose qui fait partie de ma vie. Depuis que je suis enfant, je collectionne des médailles, des pièces de monnaie et des cartes de football. Au fil du temps, cet instinct s'est transformé en un engagement profond envers l'art. Pour moi, collectionner, c'est bien plus que posséder : c'est apprendre, préserver, partager et, je l'espère, contribuer à la compréhension et à l'appréciation de certains artistes. C'est pourquoi j'ai toujours tenu à prêter des œuvres pour des expositions et à ouvrir éventuellement mes propres musées.
P.S. : Combien d'œuvres possédez-vous ?
C.L. : À l'heure actuelle, ma collection compte environ 1 500 œuvres, dont environ 600 œuvres d'artistes féminines. Le reste est constitué de pièces provenant de périodes de collection antérieures, y compris quelques antiquités et œuvres modernes. Ces dernières années, j'ai vendu une grande partie de ma collection d'antiquités pour me consacrer davantage à l'art des femmes.
P.S. : Vous souvenez-vous de la première œuvre d'art que vous avez acquise ?
C.L. : Oui, j'avais environ 25/26 ans et je vivais et travaillais pour une société d'investissement américaine à Paris. Je me rendais régulièrement au Louvre le week-end et je suis tombé amoureux des galeries hollandaises et flamandes du début du XVIIe siècle. J'ai alors acheté un tableau de cette époque représentant une scène d'incendie à Delft vers 1630, par un artiste appelé Egbert Van Der Poel.
P.S. : Pourquoi avez-vous fermé le Musée d'Art Classique de Mougins (MACM), que vous aviez fondé, pour le remplacer par FAMM ?
C.L. : J'ai réalisé que j'avais une opportunité unique de constituer une collection d'envergure mondiale dans ce domaine et de créer quelque chose qui n'existait pas en Europe. J'ai donc choisi de transformer totalement le musée en FAMM. En ce qui concerne ma collection d'antiquités, la plupart des œuvres ont été vendues lors de plusieurs enchères organisées par Christie's à Londres et à New York entre 2023 et 2024. J'ai conservé un nombre plus restreint de pièces dans ma collection personnelle, et une nouvelle vente du Musée de Mougins est prévue chez Artcurial à Paris en novembre. Ma priorité est désormais entièrement consacrée à la promotion et à la recherche de l'art des femmes.
P.S. : Était-il nécessaire de créer un musée spécifiquement dédié aux artistes femmes ?
C.L. : Oui, absolument nécessaire. Au fil des années, en collectant et en étudiant l'histoire de l’art, j'ai pris de plus en plus conscience de la manière dont les artistes femmes ont été constamment sous-représentées et sous-évaluées ; non seulement dans les collections muséales, mais aussi dans le domaine académique et sur le marché de l’art. Par exemple, si vous consultez des livres comme The Triumph of American Painting d'Irving Sandler, vous y trouverez des centaines de reproductions, mais aucune œuvre d'une femme. Cette absence m'a paru comme une omission flagrante. Je voulais créer une institution qui puisse contribuer à corriger ce déséquilibre. FAMM est le premier musée au monde, en dehors des États-Unis, à posséder une collection permanente dédiée exclusivement aux artistes femmes.
P.S. : En tant qu'artistes, les femmes sont-elles toujours, même aujourd'hui, moins valorisées que les hommes ?
C.L. : Oui, malheureusement, même aujourd'hui, il existe toujours un écart évident. Lorsque j'ai commencé à orienter ma collection sur les artistes femmes, j'ai constaté que les meilleures œuvres de femmes étaient souvent disponibles à une fraction du prix des œuvres de leurs homologues masculins. Ce n'était pas en raison d'un manque de qualité, au contraire, beaucoup de ces peintures sont extraordinaires et même supérieures, mais parce que, historiquement, les artistes femmes n'avaient tout simplement pas les mêmes opportunités ni la même visibilité. Un des objectifs de FAMM est de remettre en question cette situation en montrant que ces œuvres sont sur un pied d'égalité, et souvent supérieures, à celles de leurs contemporains masculins.
P.S. : Existe-t-il un "art féminin" ?
C.L. : Je ne pense pas qu'il y ait une seule définition de “l'art féminin”. Ce qui unit les artistes de la collection, ce n'est pas une esthétique commune, mais le contexte historique dans lequel elles ont travaillé. Beaucoup ont fait face à l'exclusion des grandes galeries et institutions, et à un manque de reconnaissance critique.
Cela dit, certains thèmes et perspectives se retrouvent, qu'il s'agisse de la manière dont certaines artistes ont abordé le corps, la biographie personnelle ou l’abstraction, mais, au final, chaque voix d'artiste est unique. Pour moi, la chose la plus importante est de regarder ces œuvres comme de l'art de la plus haute qualité, plutôt que de les réduire à une étiquette basée uniquement sur le genre.
P.S. : Quel est l'artiste qui vous touche le plus ?
C.L. : Il est impossible de n'en citer qu'un, mais j'ai toujours été profondément émue par Joan Mitchell. Son œuvre allie une puissance et un lyrisme extraordinaires, et je ressens un lien particulier avec ses peintures réalisées dans le sud de la France. Il y a quelque chose dans sa façon de traduire l'émotion dans l'abstraction qui me fascine sans cesse. Parmi les artistes historiques, Berthe Morisot se distingue également par son rôle de pionnière à une époque où les femmes n'avaient pratiquement aucune visibilité.
P.S. : Si vous deviez dessiner votre collection, à quoi ressemblerait-elle ?
C.L. : Je pense que je la peindrais comme un zodiaque circulaire et céleste. Beau, universel et tout lié au passé, au présent et au futur.
P.S. : Au-delà de leur genre, y a-t-il un fil conducteur entre les 90 artistes exposées à FAMM ?
C.L. : Au-delà du fait qu'elles sont toutes des femmes, ce qui les relie, c'est l'excellence et la résilience. Elles couvrent différentes époques et styles, de l'Impressionnisme au Surréalisme, de l'Expressionnisme abstrait à la peinture contemporaine. Certaines, comme Berthe Morisot et Joan Mitchell, étaient des pionnières dans leurs domaines et ont toujours été célèbres, tandis que d'autres ont été ignorées pendant des décennies malgré des œuvres exceptionnelles.
Ce qui me semble fascinant, c'est que chaque artiste de la collection a apporté quelque chose de significatif à l'évolution de l'art moderne et contemporain. La structure du musée, organisée chronologiquement sur quatre étages, met vraiment en valeur cette diversité et montre qu'il n'existe pas une seule narration de “l'art féminin”, mais plusieurs histoires d'innovation.
P.S. : Avez-vous une relation particulière avec une œuvre de votre collection ?
C.L. : L'une des œuvres les plus remarquables est Prophecy de Lee Krasner, que j'ai acquise à titre privé il y a quelques années. Il s'agit d'une peinture monumentale sur laquelle elle a travaillé juste avant la mort de Jackson Pollock et qui a une intensité presque volcanique. Lorsqu'elle est arrivée, je me souviens l'avoir déballée et avoir été submergée par son ampleur et sa puissance. Je suis restée seule dans la galerie pendant des heures à la regarder. C'est un moment que je n'oublierai jamais.
P.S. : Quelle est votre acquisition la plus récente ?
C.L. : Une peinture à l'huile de 1942 de Leonor Fini, la femme surréaliste. Il s'agit d'un autoportrait en sphinx, avec son petit ami de l'époque, Stanislao Lepri, qui était un peintre surréaliste d'Alaska.
FAMM : La collection, toute l'année au FAMM (Femmes Artistes du Musée de Mougins).